La pression inflationniste subie par les entreprises depuis 18 mois semble s’alléger progressivement
Les prix des matières premières et les coûts de transport ont corrigé significativement. Les prix de l’énergie se stabilisent à un niveau double des normes historiques, tandis que l’inflation salariale, élément retardé, semble gérable. Cette tendance récente de désinflation constitue ainsi une bonne nouvelle tant pour les industriels que pour le consommateur final.
La situation des entreprises par rapport à l’inflation est différente selon les entreprises et/ou secteurs.
- Certaines sociétés sont sereines, ayant réussi à caler les prix de vente sur les évolutions de coûts. Ainsi, Elis continue de défendre des hausses de prix pour compenser l’inflation des salaires et de l’énergie. Chez les plus énergivores, telles que Rockwool dans l’isolation par laine de roche, les hausses de prix ont dépassé 50%, démonstration de « pricing power » qui a forcément des effets négatifs sur les volumes.
Certaines de ces sociétés entrevoient déjà des baisses de prix sur certains produits afin de stimuler la demande, comme Arkema, en amont dans la chimie de spécialité, ou encore, à l’instar de Trigano, dont les véhicules de loisirs ont vu leur prix progresser de 20% sur les 24 derniers mois et qui devrait les abaisser.
- A l’inverse, d’autres industries fonctionnent à cycle long, c’est-à-dire avec un écart de plus d’une année entre la vente des produits ou services à prix fixe et leur livraison. Ces entreprises ont souffert tout au long de 2022 de livrer des biens dont les prix ne prenaient pas en compte les coûts sans cesse en hausse. Elles commencent donc à peine à rétablir leurs marges. Ainsi, dans l’industrie éolienne, on attend un passage de pertes opérationnelles généralisées dans le secteur en 2022 à des marges opérationnelles proches de 10% pour les leaders tels que Vestas en 2025. Nous pouvons constater ce phénomène chez des industriels comme Manitou, Bénéteau ou Exel Industries, qui avaient accumulé un carnet de commandes supérieur à une année.
De la même façon, dans l’agroalimentaire, les hausses de prix n’ont pas pu être passées en 2022, pour des raisons de rapport de force avec les grands distributeurs et de pressions politiques ; des hausses de prix à deux chiffres sont à l’agenda en 2023, comme indiqué chez Bonduelle, Omer Decugis ou LDC.
- Cette désinflation sera aussi une bonne nouvelle pour le consommateur, en desserrant ses contraintes de pouvoir d’achat. La consommation discrétionnaire a souffert en 2022 d’un ralentissement de la demande post covid et de perte de pouvoir d’achat, rendant nécessaire un déstockage sur la fin d’année au sein de la chaîne d’approvisionnement, comme observé par SEB, Electrolux, et Arkema par exemple.
Le secteur de la distribution vestimentaire, et notamment e-commerce, a été à la peine en 2022, pris en étau entre un consommateur inquiet pour son pouvoir d’achat et une météo peu hivernale. La saison des soldes d’hiver commençait avec des stocks importants. Il semblerait qu’on ait touché un point bas opérationnel fin 2022, avec une volonté des acteurs de se concentrer sur la reconstitution de leurs marges (frais de livraison mieux répercutés, retours plus difficiles, …). La baisse récente du dollar et la baisse des prix du fret seront très bénéfiques pour l’ensemble des acteurs du secteur. Zalando a ainsi signé un beau rebond boursier. La demande pour certains segments de consommation est restée insolemment élevée, notamment dans les loisirs à l’instar de l’industrie nautique (Bénéteau, Fountaine Pajot) ou encore Trigano, Voyageurs du Monde, TUI, secteur en tête des performances en début d’année.
Globalement, nous anticipons encore des hausses de prix, mais beaucoup plus ciblées alors que de nombreux signaux de désinflation sont de bon augure pour protéger les marges des entreprises et éviter un ralentissement trop marqué de la demande courant 2023. L’hypothèse d’une récession sévère, qui était dans les esprits des investisseurs après l’été, semble progressivement s’écarter.
Les salaires et l’énergie étaient les deux « bombes à retardement » craintes en 2023, qui risquaient d’enclencher les « effets de second tour » de l’inflation.
Nous sommes désormais optimistes sur le maintien des marges. En écoutant les différentes sociétés rencontrées, l’inflation salariale semble devoir se stabiliser autour de 5% en moyenne, pour un niveau moindre qu’anticipé. Surtout, l’effet de la remontée des taux d’intérêt semble déjà se faire sentir dans les anticipations des acteurs économiques, puisque les sociétés s’accordent à trouver moins de tensions sur le marché de l’emploi, notamment dans les secteurs technologiques, à l’exception notable de l’Allemagne.
Sur les sociétés de services informatiques, où l’inflation salariale est cruciale et la capacité de recrutement clé, les discours restent confiants en ce début d’année. La poursuite d’une dynamique de croissance est le mot d’ordre, malgré un ralentissement en raison des bases élevées. Même dans un scénario de récession molle, soutenue par les tendances de digitalisation et d’automatisation de l’outil industriel restent fortes. Aubay, Sword, Alten ont toutes indiqué en ce début d’année une bonne dynamique commerciale avec une pression moindre depuis quelques mois sur le rythme de recrutement alors que le turnover ralentit légèrement et l’inflation salariale reste mesurée et gérable par la pyramide des âges.
Même dans le secteur de la santé, où la base de coûts est traditionnellement maîtrisée et la croissance très visible, le marché est préoccupé par le niveau de marge depuis six mois. L’inflation, notamment salariale, et les perturbations de la chaîne d’approvisionnement. Mais, le message est plutôt rassurant, avec des managements engagés à tenir les marges, notamment par des actions sur le mix produits.
Surtout, les craintes de pénurie énergétique en Europe, centrées sur l’Allemagne et les pays de l’est de l’Europe, ne semblent plus inquiéter personne. Les sociétés allemandes en septembre dernier ne communiquaient plus que sur des taux de couverture des achats d’énergie et des plans de substitution du gaz en cas de pénurie. Ces questions ne sont même plus abordées en janvier, suite à la météo clémente et à un niveau soutenu des stocks de gaz, ainsi qu’à des investissements en infrastructure GNL. Nous restons néanmoins convaincus que le sujet de l’énergie n’est pas réglé en Europe et que les producteurs d’énergie, notamment renouvelable, redeviennent un segment intéressant pour investir après une clarification des plafonds de prix de rachat et des taxations des « superprofits » mises en place dans les différents pays européens.
L’autre grand sujet de soulagement, qui a largement porté le rebond boursier de ce début d’année, concerne la réouverture de la Chine.
Avec une immunité collective qui semble devoir être bientôt atteinte, les dernières perturbations de la chaîne d’approvisionnement résultent d’arrêts maladie inhabituellement importants en Chine en décembre et janvier. Les industries qui étaient limitées par l’accès aux composants électroniques provenant de Chine, telles que les constructeurs automobiles, vont désormais pouvoir produire sans goulet d’étranglement.
La réouverture de la Chine est incontestablement une bonne nouvelle en termes de demande pour un acteur comme Carl Zeiss et le groupe s’attend à un redémarrage très net post-T2 avec une reprise des opérations de chirurgie réfractive non effectuées pendant les confinements. L’épargne du consommateur chinois se situe également sur des niveaux élevés et pourrait ainsi contribuer au secteur distribution.
Le retour du consommateur chinois signerait aussi un nouvel élan pour le secteur du luxe. Comme indiqué par LVMH, les effets en Occident seront progressifs avec un retour attendu des touristes chinois au deuxième semestre 2023 en Europe. En ce qui concerne la consommation en Chine, il constate une reprise dès janvier 2023, commentaire également relayé par Richemont, après des chiffres épouvantables de décembre (-80%) dus au confinement. Néanmoins le niveau des ventes s’inscrit toujours en retrait de 30% par rapport à 2019.
A terme, néanmoins, le retour de la Chine à plein régime ne manquera pas de signifier de nouvelles tensions inflationnistes, notamment dans le secteur minier et métaux, qui ne s’y est pas trompé avec une très belle performance en début d’année.
Au final, nous comprenons que la tenue des marges en 2023 dépendra largement des volumes de la demande, qui semblent bien se tenir à ce stade. Désinflation et réouverture de la Chine ont soufflé un vent d’optimisme dans le discours des sociétés en tout début d’année, permettant de signer une reprise boursière bienvenue et corriger les excès de pessimisme de 2022 !